Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

4.9.14

CHRONIQUES DE RÉSISTANCE 2
SALUT À MICHEL LAGRAFEUILLE


Le 30 juillet dernier était présenté l'album Chroniques de résistance aux habitants de Treignac dans la toute neuve et fringante médiathèque de la petite cité corrèzienne. Deux jours avant le coup d'envoi de la quinzième édition du festival Kind of Belou (au choix, on verra dans l'insolite titre de cette fête annuelle un clin d'œil dévergondé à Miles Davis ou bien une solide et taquine affirmation populaire). C'est lors de ce festival, un an plus tôt que fut assemblée par Tony Hymas, la petite troupe de ces Chroniques de résistance (1) : Nathalie Richard, Desdamona ou François Corneloup, compagnes et compagnons de longue date, le trio Journal Intime (Sylvain Bardiau, Frédéric Gastard, Mathias Malher) de fraîche aventure, Peter Hennig ayant auparavant croisé la route du pianiste une seule et belle fois minnesotanne, Frédéric Pierrot, autre évident, frère nécessaire, ou la cadette Elsa Birgé qui en 1996, enfant, reprenait les mots de Buenaventura Durruti pour introduire le projet dédié à l'anarchiste espagnol (2). Cet ensemble d'explorateurs (auquel s'en ajoutent d'autres : Vincent Bailly, Julien Basseres, Jean-Jacques Birgé, Daniel Cacouault, Mary Ann Caws, Robin Emlein, Sylvie Fontaine, Alain Gandolfi, Sylvain Girault, John Holloway, Nancy Kline, Stéphane Levallois, Thierry Mazaud, David Miller, Delia Morris, Jeanne Puchol, Marianne Trintius, Eddy Vaccaro, Isabelle Vedrenne...), tous du côté du mouvement, est un petit pays, fait de sources, de territoires liés, solidaires.
 
Le cinéaste Frank Cassenti filma les jours qui précédèrent l'enregistrement. Dans son reportage (produit par Oléo Films), on voit et entend Michel Lagrafeuille, jeune résistant de quatorze ans en 1944 qui vit son frère aîné, André 23 ans, résistant aussi, fusillé par les Nazis. Michel Lagrafeuille avait rendu visite aux musiciens, chanteurs et acteurs, assisté au concert le 18 août 2013, heureux. Nous l'avions revu au printemps 2014 à Treignac - village entier de ces Chroniques de résistance -, lors d'une réunion annonçant la sortie du disque, alors encore en chantier.

Faire un disque aujourd'hui, qu'est-ce que ça veut dire ? Un collègue, producteur expérimenté, lucide, indiquait avec insistance récemment qu'il fallait urgemment laisser tomber, à coup de "à quoi bon !", "c'est devenu impossible !", "on se fait baiser à chaque fois !", "ça n'intéresse plus personne !", "pourquoi se faire chier ?". De tels mots, un tel constat, heurtent, traversent les corps labourés, comme si les intentions s'échouaient après des siècles d'échos, de désirs profonds, de conscience intense. Mais ils taquinent la souche aussi à l'endroit même des petites douleurs, des usures et des questions permanentes.

Chroniques de résistance n'est sans doute pas une expérience simple, en mode mode, mais c'est une expérience (3) motivée qui entend (naïvement ?) trouver dans cette motivation - avec les moyens du bord et de réelles amitiés - quelques réponses au défaitisme.

Dans le documentaire de Frank Cassenti, après l'apparition de Michel Lagrafeuille, François Corneloup commente : "D'un seul coup, dans ce qu'on est en train de jouer, il y a cet homme qui arrive avec sa réalité historique et qui est vivant. Là tu te dis : je vais m'appliquer parce que lui il s'est appliqué... pour que l'on puisse encore jouer cette musique-là aujourd'hui".

Le 30 juillet, Michel Lagrafeuille ne put être là, disparu quelques jours plus tôt le 21 juillet ; sa fille Françoise et son fils Philippe le représentaient, aux côtés de Michèle Guingouin et Jean-Jacques Nanot, descendants de figures substantielles de la Résistance. À l'issue du débat, après un long silence, un jeune homme indiqua : "ce silence n'est pas celui de la gêne, mais celui de l'interrogation : ce que nous n'avons pas encore fait".

Les réponses à l'illustre, compétent et fatigué collègue en proie à un compréhensible abandon sont bien là, humblement, dans la nécessaire et opiniâtre transmission d'une résistance à laquelle l'expression (disons artistique) ne saurait se soustraire, parce que d'autres se sont tellement appliqués, parce que nous ne pouvons considérer autre chose que d'en être au commencement (frémir infiniment) et parce qu'on ne saurait se détourner de l'indispensable "ce que nous n'avons pas encore fait".  La musique, à sa taille, peut encore en faire partie.


(1) Chroniques de résistance  sur le site nato (sorti le 1er septembre 2014 - diffusé par l'Autre Distribution)
(2) Buenaventura Durruti sur le site nato (sorti en 1996, réédité en 2011 - diffusé par l'Autre Distribution)
(3) Sens hendrixien

Photographie extraite du documentaire de Frank Cassenti : Tony Hymas saluant Michel Lagrafeuille avec Frédéric Gastard, Nathalie Richard et Anna Mazaud

1 commentaire:

Michel VAUQUOIS a dit…

« ce que nous n'avons pas encore fait »... et peut-être aussi ce que nous ne ferons jamais...
Mais se regarder chaque matin dans le miroir et se dire « Qu'est-ce que j'ai fait hier et que vais-je faire aujourd'hui » pour ne pas avoir honte de soi, de ses bassesses, de ses petits compromis, de ses minuscules abandons...
Résistance, oui ; résistanceS, encore mieux.
Vivre debout, tout simplement...
Simplement ? Pas si sûr !