Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

11.2.15

LIGNE 7, SILENCES ET CHATS


Ligne 7 du métro parisien, jeudi matin 8h. Dans le wagon, aucun voyageur ne porte casque ou écouteur ; on se déplace - tant l'image soudain surprend - pour vérifier discrètement qu'ils ne soient pas cachés sous des bonnets d'hiver ou d'épaisses chevelures, que nenni ! Aucun voyageur non plus ne téléphone, ne joue à Candycrush, n'esseme S ou ne text sans E. Aucun n'est relié par écran, aucune délégation, pas même à la presse gratuite uniformatrice. Quelques uns discutent doucement, d'autres dorment, quelques livres sont de sortie ; l'une lit Toltstoï, l'autre, adolescent, Astérix. Quelques sourires, deux jeunes gens s'embrassent. L'espace de deux stations, l'impression d'un monde passé ou à venir, d'un fort discret hymne à la vie. Brève image de paix. Puis arrêt Cadet - décoration bleu blanc rouge - une jeune fille monte avec son casque d'écoute, les fils blancs des écouteurs se déroulent. On s'appareille dans cette sorte de frénésie immobile. La femme qui lisait Tolstoï est descendue. Un cadre supérieur (il le fait savoir) se met à parler à son appareil bien fort avec le charabia des gens importants. Les doigts glissent sur les écrans. La sensation a basculé vers celle d'être dans une salle comblée de moult prothèses. Pour seule lecture hors écran, les gratuits uniformes. Une certaine douceur d'un étrange inédit fait place au silence de plomb. Un pauvre arrive, il chante un peu et mendie, personne ne voit, personne n'entend. Il arrive trop tard. Mais il n'est pas le seul, nous sommes tous trop tard. Habitants de frontières lâches où l'inconnu bat sans imaginaire, le manque.

Comme est trop tard, quatre jours après, sur cette même Ligne 7, une bande de jeune gens, très au fait des évolutions commerciales nécessaires au bon confort moderne. Ils discutent de l'intérêt des animaux domestiques. L'une affirme à ses collègues qu'un chat, "ça ne sert à rien". Un garçon, bien mis (future personne importante), acquiesce en s'esclaffant. Les stupides, ils ne savent pas ce qu'ils doivent aux chats, comme ils ne savent pas ce qu'ils doivent aux tambours, à la danse, qui comme les chats nous ont sauvé (mais oui) avant que nos corps ne se raidissent totalement.

Le transport est-il le désir d'échapper au désir ou bien par une sorte de régie autonome celui d'assurer une poésie objective, féline, dansante et révoltée, de retrouver la parole au moment où nous serions enfin aptes aux transports en commun et pourrions donc, de fait, décréter la Commune.

Photo : B. Zon

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